Villejean résiste aux vio
Enquête

Villejean résiste aux violences

24 Mars 2022


Laure Guyot et Hélouri Pendezec « On ne laisse jamais tomber les familles »



Il accompagne une quarantaine d’élèves du quartier. Elle, une vingtaine de mamans. Hélouri Pendezec est un référent éducatif à la direction enfance de la Ville de Rennes ; il travaille depuis l’été 2020 à Villejean. Son binôme Laure Guyot est présente depuis 10 ans dans le quartier, elle est animatrice du programme réussite éducation de la ville. 
 
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Le rendez-vous a été fixé à l’espace parents du groupe scolaire Andrée Chedid. Un lieu accueillant avec ses canapés et ses fauteuils colorés. Un lieu où Laure Guyot rencontre une fois par semaine le jeudi matin, les mamans du quartier. Ce jour-là, elles arrivent de manière échelonnée. Commencée à quatre, la matinée se termine à une dizaine. La plupart des femmes présentes ont entre 30 et 40 ans, une majorité est voilée. Le ton est détendu, convivial. On sent les participantes en confiance avec l’animatrice.
Ces derniers mois, les activités proposées au groupe ont été variées : ateliers culinaires, troc de vêtements, formation au premiers secours, art thérapie, arts du cirque et même une rencontre mensuelle avec une psychologue d’origine espagnole. « Rocco Pardio, la psychologue, est formidable, réagit immédiatement Zohra, 40 ans, 3 enfants. Elle accueille nos paroles sereinement, sans jugement. C’est très agréable et très nouveau pour nous ».

Les mamans disent leur satisfaction d’achat collectif de produits bio en vrac. Laure Guyot en détaille le principe : « Nous passons tous les mois nos commandes à l’association « Vrac ». Elle propose des  produits de consommation courante - pâtes, riz, légumes secs, fruits secs - moins chers qu’au supermarché. Par exemple, le kilo de farine bio est à 0,80 €. Cette action permet à la fois de sensibiliser les familles aux repas équilibrés, au bien manger … ce qui est important quand on a peu de moyens financiers. »
L’animatrice constate que les femmes apprécient d’apprendre et de faire des choses ensemble. Que ce soit un atelier pour apprendre à fabriquer du savon ou des échanges de savoir faire en matière de couture.  
 
Témoignages de mamans

Tour de table des mamans, de leurs soucis, de leurs besoins. Ouria, 28 ans, maman d’un enfant, aimerait suivre des cours de français. « Je vis depuis 6 ans à Villejean. Je ne suis pas très à l’aise pour m’exprimer en français, j’aimerais faire des progrès ». Laure  Guyot propose de lui indiquer les organismes qui dispensent des cours de langue gratuits.
Kaima, 35 ans, 3 enfants, habite Villejean depuis 7 ans. Elle a un diplôme d’assistante de gestion :
« Moi, j’aimerais bien travailler. Mon problème, c’est que je ne veux pas enlever mon voile sur le lieu de travail. Je refuse aussi de me maquiller..»
Le voile … Un sujet sensible pour les femmes  musulmanes du quartier. Zohra, 14 années à Villejean : « Lors d’une sortie scolaire, l’institutrice a refusé que j’accompagne la classe de mon fils parce que je portais le voile. J’en aurais pleuré. »
Kelouma, 33 ans dont 10 ans à Villejean, est maman de deux enfants de 4 et 14 ans. Elle raconte avoir travaillé comme vendeuse dans une boulangerie, puis animatrice scolaire. Elle a fait du ménage, de la cuisine. Une douleur à l’épaule, suite à des travaux répétitifs, a mis fin à ses activités professionnelles. Elle commente avec amertume : « Dans les commerces, le voile, paraît il, fait fuir les clients.» 

Besoins de formation
 
La discussion hebdomadaire du jeudi est un prolongement du travail que fait Laure Guyot avec les mamans qui la sollicitent pour une aide individuelle. « Je vois les effets d’une précarité  banalisée, ces mamans en difficulté financière qui se privent de manger pour favoriser leurs enfants. Aucune famille que je rencontre ne se réjouit de vivre durablement des allocations familiales. Les mamans ont envie de travailler. Il manque des formations spécifiques pour elles. Elles savent cuisiner, coudre, elles ont diverses compétences. On  pourrait imaginer des activités salariées qui utiliseraient ces compétences. Pourquoi pas une cantine solidaire ? L’emploi des femmes est un levier important pour améliorer les conditions de vie des familles du quartier. »
Condition pour les candidates à la formation : avoir accès à des modes de garde d’enfants adaptés à leur emploi du temps. Les mamans ont besoin d’horaires souples. Toutes les crèches ne le proposent pas.
 
Expériences réussies
 
Arrivé à Villejean depuis un peu plus d’un an, après une expérience dans un autre quartier, Hélouri Pendezec partage les priorités de Laure Guyot. Leur binôme est efficace. Ils n’hésitent pas à se répartir le travail et à se recommander des familles. Laure se focalisant sur les besoins des mamans et Hélouri sur ceux des enfants.    
« Mon rôle est d’accompagner les jeunes de 5 à 16 ans. J’organise avec eux des activités  en extérieur. J’ai par exemple travaillé avec un groupe sur la préparation d’un mini-camp pendant l’été. La plupart des gamins ne sont jamais partis de chez eux. Il faut les rassurer et rassurer leurs parents. Sortir du quartier, leur faire découvrir d’autres univers, d’autres milieux sociaux, c’est très important. »
Le jeune éducateur commente une autre expérience qu’il juge réussie. Avoir permis à une famille riveraine du Parc du Berry, un exceptionnel moment de détente. « Cela peut paraître banal. Mais j’ai découvert le bonheur d’une famille réunie autour d’une simple partie de « Molky »,  un jeu de quilles en bois. Ils n’avaient pas eu l’idée de profiter du parc pour un moment partagé. J’ai eu l’impression que c’était une révélation pour les membres de la famille."

Réactifs et souples

Les enfants que Hélouri Pendezec prend en charge - une majorité d’enfants scolarisés en de primaire - connaissent des situations familiales complexes. L’aide dont ils ont besoin va souvent au-delà de ses attributions de prévention éducative. Il les adresse alors aux services compétents.
« Les services sociaux font peur aux familles. Elles craignent qu’on leur enlève leurs enfants. A nous de leur expliquer qu’ils ne risquent rien et qu’on est là pour les sortir d’une impasse. » « Nous essayons d’être réactifs et souples quand il y a une urgence. On peut se déplacer le jour même au domicile de la famille ou accompagner à un rendez-vous important », complète Laure Guyot.

Les deux professionnels soulignent l’intérêt de travailler avec les autres acteurs du quartier. Toutes les six semaines, la cellule « réussite éducative » de Villejean se réunit. Une dizaine d’acteurs parmi lesquels des animateurs socio-culturels, des représentants du département, des écoles, des professionnels de santé.
Hélouri Pendezec : « On échange de manière anonyme sur des parcours d’enfants. Cela permet de croiser les regards. Pendant une réunion  on peut réussir à débloquer certaines situations familiales en alertant et en mobilisant le centre d’action sociale . On ne laisse jamais tomber les familles. » 

Laure et Hélouri admettent qu’ils font un métier usant mais porteur de valeurs. « Nous travaillons sur de l’humain. L’efficacité de nos actions est difficilement quantifiable. Il est qualitatif. »

Catherine Verger


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